Nicolas Jaimes, JDN
L’un des plus grands spécialistes en matière de marketing online explique comment les marques doivent appréhender ces nouveaux territoires que sont l’Apple Watch ou Snapchat.
Analyste de renom chez Altimeter, Brian Solis s’exprimera le 4 juin prochain lors de Digital marketin one to one dans une keynote intitulée “Le futur du marketing n’est pas le marketing“. C’est en prévision de sa venue à cet événement, dont le JDN est partenaire, que nous l’avons interrogé.
JDN. Dans votre dernière présentation, vous évoquez l’émergence d’une génération connectée. Quelles sont les caractéristiques de cette génération ?
Brian Solis. On nous bassine aujourd’hui avec cette fameuse génération des millenials dont on nous dit qu’elle regroupe l’ensemble des digital natives. Mais il est dommage de mettre l’accent sur cette cible alors que la génération connectée, celle qui est férue d’Internet, de mobilité et des dernières applications à la mode n’est pas circonscrite à une catégorie de personnes nées durant les années 90. On peut avoir 26, 36, 46 ou 56 ans et être tous aussi connecté, avec un smartphone, des tablettes, une Apple Watch et une présence sur les réseaux sociaux… L’approche générationnelle est biaisée et quiconque y assoit sa stratégie marketing se coupe de toute une frange de sa communauté.
Il s’agit de personnes, de processus, de philosophies… Le marketing traditionnel s’appuie beaucoup sur l’empirisme et les enseignements du passé. Le problème c’est qu’on applique des connaissances anciennes à quelque chose de nouveau. C’est de ces vieux réflexes que cette génération connectée doit permettre aux marques de s’affranchir, en leur apportant un regard nouveau sur leur propre identité.
Chose qui n’est pas des plus aisées avec la multiplicité des points de contacts…
C’est certain que les marques sont aujourd’hui exposées à de nombreux challenges. L’un des principaux problèmes étant que les marketeurs se laissent facilement piéger par les tendances… C’est d’autant plus vrai et dangereux que le numérique prend de la place dans notre quotidien. On a beaucoup parlé des réseaux sociaux, des applications ou du responsive design. Aujourd’hui, tout l’engouement sur porte sur l’Apple Watch. Autant de canaux que les marques s’approprient et grâce auxquels elles ont l’impression d’être innovantes. Ce qui est loin d’être le cas. Elles ne font que gagner du temps. C’est un peu comme si une personne âgée essayait de s’habiller comme les jeunes pour rajeunir… Il ne faut pas y aller pour y aller.
Le fait est que les gens se connectent de manière différente aujourd’hui. Aller sur ce nouveau territoire sans se remettre en question est vain. L’enjeu est de puiser dans l’ADN de la marque pour trouver quelle peut être sa proposition de valeur. Casser les silos et voir ce que l’on peut proposer de neuf, en lien avec sa marque, sur chaque territoire.
Vous évoquiez l’Apple Watch. Le nombre d’applications de marques lancées sur cette montre connectée (parfois sans raison aucune) illustre bien ce piège de la tendance. Y-a-t-il malgré tout des initiatives qui vous ont séduites ?
J’ai commencé à utiliser l’Apple Watch et les plus belles réussites sont pour moi les applications qui ont été complètement réinventées pour s’adapter aux usages et spécificités de la montre connectée. C’est cette notion de “human centered design” qui a longtemps été prônée par Apple, qui fait le succès d’une application aujourd’hui. Citons par exemple le cas de l’application développée par les hôtels Starwood qui permet notamment d’ouvrir la porte de l’hôtel avec sa montre, qui permet également de gérer son compte client ou encore d’accéder à une carte des locaux… En bref, une application qui disrupte complètement l’expérience utilisateur. Et c’est là que les marques doivent se positionner, en interagissant avec les utilisateurs, en apportant une valeur ajoutée pertinente à leur vie quotidienne.
WhatsApp, Messenger ou encore Snapchat… L’engouement des utilisateurs pour les services de messagerie instantanée est incroyable mais les marques n’arrivent pas à s’y installer. Comment faire ?
Pourquoi les applications de messagerie instantanée ont-elles un tel succès ? Parce qu’elles sont dédiées à un seul usage. Regardez le cas de l’application Yo, dont le principe a l’air complètement débile en surface. Il n’en reste pas moins que l’application a réussi à déporter la conversation hors de son univers, directement dans le centre des notifications. Ca vous donne une idée de ce que pourrait être l’essence des applications de messagerie à l’avenir, avec une conversation qui se déroule au sein même du centre des notifications. Ce qu’iOS 8 a d’ailleurs commencé à mettre en place.
De tels succès nous montrent qu’il est devenu de plus en plus difficile pour une marque d’attirer l’attention du consommateur. Il lui faut la gagner. Peut-être est-ce en allant sur ces nouveaux espaces de conversation ? Mais encore une fois en y allant pour les bonnes raisons. En comprenant pourquoi un Snapchat colle bien à votre stratégie de marque et l’audience que vous visez.
Vous parlez du paradigme “une app, un usage”. On a pourtant l’impression que ces services font aujourd’hui marche arrière. Regardez Messenger ou même Snapchat….
Attardons-nous sur la stratégie de Facebook qui a, via des acquisitions et des spin-off, segmenté sa galaxie d’applications selon les usages. C’était un moyen pour lui de simplifier l’expérience d’utilisateur sur mobile. Et cette décision a eu du mal à passer auprès de la communauté d’utilisateurs… Du moins au début. Car Facebook réussit, à l’image d’un Apple, à sortir les utilisateurs de leur zone de confort et leur imposer de nouveaux standards. Tout le contraire de MySpace ou de nombreuses compagnies qui se contentent de suivre les usages.
Si les applications de messagerie instantanée font aujourd’hui le chemin inverse, c’est sans doute pour la même raison que Facebook a segmenté son application principale Je pense que c’est pour elles un moyen d’innover, de ne pas lasser l’utilisateur avec une seule fonctionnalité comme peut le faire un Snapchat avec les lancements de “Discover” et “Stories”. Elles essaient d’apporter de la valeur ajoutée à leur service principal. C’est du test & learn. Ca ne marchera peut-être pas mais c’est fait de façon à rendre sa proposition de valeur la plus exhaustive possible. C’est une bonne chose. Ca ajoute de la vie au produit.
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