by: Dino Auciello, Blain
Avec sa dernière publication X : the experience when business meets design, Brian Solis propose un format d’édition inédit. Une façon pour le gourou américain de la transformation digitale d’appliquer à lui-même les conseils qu’il donne aux entreprises. Invité de l’agence Emakina, le spécialiste intervenait début février à la Conférence Lift 16 à Genève. Rencontre.
L’expérience est au cœur de toute activité commerciale. Qu’est-ce qui est en jeu aujourd’hui?
De nombreux managers et stratégistes utilisent ce concept à tout va. Mais si on demande à dix personnes ce qu’il signifie pour elles, on obtiendra au moins dix réponses différentes. Au final, peu de marques pensent concrètement à construire l’architecture de l’expérience client: que leurs clients vivent en magasin, par exemple, ce qu’ils feront après avoir acheté… Les entreprises ne peuvent certainement pas toutes être innovantes comme Apple ou Nike. Mais elles peuvent davantage faire preuve d’empathie vis-à-vis des consommateurs.
Le design est central dans votre livre. Quel est son rôle pour une entreprise?
Tinder est l’exemple parfait. Cette app de rencontres comprend deux éléments simples de design: pour faire un choix, on balaie à gauche ou à droite. Un geste simple pour dire A ou B. Désormais, lorsqu’un utilisateur interagit avec des plateformes numériques, son cerveau s’habitue peu à peu au modèle et au design des services qui le satisfont.
Même constat pour un usager d’Uber: je veux une voiture rapidement à mon service, elle vient à moi, je la suis sur mon écran, je paie la course sans sortir d’argent liquide. Désormais, je m’attends à ce type d’expérience avec la plupart des autres marques. Tinder, Uber, Instagram, Facebook ou encore Snapchat ont changé la façon dont on interagit avec les marques et la façon dont on communique avec elles… et entre nous.
Plus on aura d’Uber et de Tinder, plus on créera de consommateurs narcissiques qui s’attendent à ce que le monde et les entreprises s’adaptent à eux. Et si ce n’est pas le cas, ils choisiront de ne plus utiliser telle application et de ne plus acheter tel produit.
Qu’est-ce que cela signifie pour une entreprise?
Soit elle meurt, soit elle grandit. C’est pourquoi le design devient si important. Il faut désormais bâtir son architecture d’expérience dans tous les secteurs: banques, fournisseurs d’assurances, détaillants, plateformes e-commerce traditionnelles… Pour les plus jeunes générations, les banques sont désormais des applications. Or, elles ont toujours de grandes infra-structures, avec de nombreux collaborateurs…
Comment un géant bancaire pourrait-il révolutionner un modèle qui souvent existe depuis des décennies?
Je me suis penché sur la façon dont certaines multinationales veulent disrupter leurs modèles. Certaines vont racheter les start-up du moment ou créer des accélérateurs et des portefeuilles d’investissement pour prendre des parts dans des jeunes sociétés. D’autres encore investissent dans des centres d’innovation, en ouvrant des avant-postes à la Silicon Valley, par exemple. Une autre façon d’essayer de faire partie de l’écosystème. Le défi, malheureusement: elles doivent toutes rendre compte à un système hérité, qui n’est pas innovant.
La plupart de ces compagnies pensent qu’elles vont se réinventer en investissant dans l’innovation. Or, elles doivent cesser de penser comme une structure de management – procédural et itératif – et se diriger vers une infrastructure de leadership.
Comment?
Les plus grands succès arrivent lorsque les entreprises décident de faire grandir leurs centres d’innovation organiquement. Devenus de nouveaux départements, ils ne sont plus aspirés dans les systèmes traditionnels de la compagnie. Investir dans ces nouvelles structures signifie lancer de nouvelles activités et essayer de reconstruire des facettes de l’ancien modèle, avec les idées récoltées.
Le groupe industriel Tata, en Inde, a par exemple établi une culture d’innovation qui a changé sa gestion. Désormais, le middle management est chargé de cultiver les nouvelles expertises et idées provenant des employés, qui sont ensuite mesurées par leur mise en œuvre. Les entreprises doivent investir dans ce qui les protégera à l’avenir. Elles doivent se réinventer elles-mêmes, ou d’autres les disrupteront.
La révolution numérique inquiète de nombreux salariés. Comment le management peut-il réagir?
Les managers doivent tout d’abord identifier les lacunes dans les compétences. Quelles sont les professions du futur? Les expertises dont ils auront besoin ? Ensuite, ils pourront commencer à investir dans les ressources humaines et la formation, de façon pertinente.
Pour le salarié, le plus difficile est de reconnaître que, désormais, il devra suivre un apprentissage en continu pour rester au niveau, et cela malgré son expérience professionnelle et ses diplômes. «Tout le monde pense à changer le monde, mais personne ne pense à se changer lui-même», disait Léon Tolstoï. Or, si on attend quelqu’un pour nous dire quoi faire, nous sommes du mauvais côté de l’innovation.
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