Dans le cadre du Digital Marketing One to One, Brian Solis donnait une conférence intitulée « Le futur du marketing n’est pas le marketing » . J’ai eu le grand plaisir de l’interviewer au sujet des médias sociaux et des entreprises avant son intervention.
Pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas, Brian Solis occupe la position d’analyste chez Altimeter depuis 2011. C’est aussi un stratège, un anthropologiste, un auteur à succès, un influenceur mondial et un conférencier très recherché.
Pour moi, Brian est l’un des rares professionnels qui comprend vraiment l’essence même des médias sociaux, l’aspect relationnel et le facteur humain. Sa vision est juste, unique et inspirante. Il est probablement l’un des experts les plus légitimes et compétents pour amener le changement nécessaire en entreprise notamment dans l’approche et la réalisation du social.
Note: Mes chaleureux remerciements à Comexposium (aussi) pour cette mise en relation.
1 – Comment voyez-vous le futur des médias sociaux et des marques ?
Malgré toutes ces années, les médias sociaux sont encore sous-appréciés par les marques. Elles les voient encore comme un canal pour faire ce qu’elles ont toujours fait, soit parler à des personnes et au plus grand nombre possible d’entre elles. Et je pense qu’il sera nécessaire que des professionnels comme vous aident ces entreprises à comprendre ce qu’il faut pour qu’un canal soit beaucoup plus humain et engageant ou encore pour rendre une entreprise plus sociale par nature et non pas juste par l’intermédiaire de la technologie.
Ce qui implique qu’elles doivent écouter, engager quand elles n’ont rien à vendre, répondre aux questions des personnes, fournir un service client pour gérer tous ces canaux et tout simplement essayer d’être pertinentes et présentes dans des espaces culturellement appropriés. De nombreuses marques ne voient pas ça aujourd’hui. Il n’y a pas de réelle compréhension, de changement suffisant dans leur philosophie sur ce qui est possible. Nous utilisons encore les mêmes métriques, nous allouons encore les mêmes budgets au marketing, dont nous prenons un pourcentage pour le social.
Il y a cependant quelques exemples merveilleux comme My Starbucks Idea pour l’innovation, KLM pour le service client ou encore Marc Jacobs pour ses campagnes marketing basées sur la réciprocité. Mais, il n’existe pas vraiment de consistance qui montre comment les médias sociaux pourraient vraiment aider les entreprises à se démarquer pour attirer le consommateur connecté. Et je pense que beaucoup de travail est encore nécessaire.
2. Quels sont les 3 grands challenges que les marques doivent affronter sur les médias sociaux ? Et quels conseils pourriez-vous donner aux entreprises pour les dépasser ?
Le plus grand challenge que les marques affrontent sur les médias sociaux est qu’elles ne savent même pas qu’il s’agit d’un challenge. Cela dépend à qui vous vous adressez en entreprise : le directeur marketing, le stratégiste en médias sociaux, le stratégiste digital etc. Mais la difficulté principale rencontrée est qu’ils ne comprennent pas les médias sociaux. Beaucoup de dirigeants d’entreprises ne les utilisent même pas. Leur niveau de compréhension repose sur ce qu’y font leurs enfants ou ce qu’ils lisent dans la presse.
Un autre défi est qu’il n’existe aucune perspective de la part des marques et je suppose que c’est parce qu’elles ne vivent pas la vie comme les consommateurs le font. Cela est vrai pour le social, le digital … Ces entreprises s’adressent à des actionnaires et font du reporting trimestriel. Elles ne comprennent pas le voyage du client dans le monde des médias sociaux. Donc elles ne prennent pas de décisions basées sur la pertinence.
Enfin la 3ème difficulté repose sur le fait que les marques n’ont pas changé la manière dont elles pensent au marketing. Les médias sociaux sont seulement une partie du challenge qu’elles rencontrent aujourd’hui. Les marques ont encore un héritage de la pensée sur ce qu’est le marketing, ce qu’il faut pour gagner de l’attention, ce qu’elles font avec une fois qu’elles l’ont. Nous pensons encore attirer l’attention des consommateurs et les conduire dans un tunnel où ils doivent suivre un parcours de clics qui aide à convertir. C’est pourquoi nous mesurons les impressions et les conversions alors que personne ne s’interroge sur l’objectif d’un site web en 2015. « Que se passe-t-il lorsqu’un internaute arrive sur notre site web en raison de ce que nous avons produit sur le social ou le digital et qu’il n’y a pas de conversion? Est-ce que cela veut dire que le social ne marche pas ? ». Parce qu’aujourd’hui, c’est comme ça que les entreprises pensent. Alors qu’elles devraient évaluer l’expérience du site web délivrée sur le mobile et déterminer si elle correspond aux attentes de leurs clients.
Si vous regardez le travail que j’ai effectué avec Google au sujet des micro-moments ou encore l’idée que les clients digitaux vivent la vie dans ces moments courts en commençant par le smartphone, les marques n’ont pas encore identifié ce que sont ces moments. Le social occupe une partie importante dans ces instants non seulement pour l’engagement et la découverte mais aussi pour les prises de décision. Il s’agit d’une opportunité importante pour les entreprises qui doivent vivre la vie comme leurs clients et commencer à dresser une carte de ces micro-moments afin d’être stratégiques, de rester pro-actives et de guider leurs clients le long du chemin.
3. Facebook, Twitter et plus récemment Pinterest testent des boutons « Acheter » qui permettent aux consommateurs d’acquérir des produits en un ou deux clics sans quitter leur plateforme. Pensez-vous que les marques et les consommateurs adopteront enfin le commerce social ?
Oui mais si je m’appuie sur nos précédents échanges, les marques ne savent pas encore ce qu’est le commerce social. Donc il s’agit pour elles d’un acte transactionnel au lieu d’une opportunité pour créer une expérience. La différence est dans ce que j’appelle l’étreinte (en anglais « the embrace »). Si j’ai votre attention, je devrais faire quelque chose avec elle. Et si c’est seulement pour effectuer un achat en 140 caractères plus un bouton acheter, comment pourrais-je rendre cet acte plus expérimental ? Personne ne veut juste acheter des produits. Les gens veulent vivre des expériences. Pourriez-vous donner vie à cette transaction de manière différente ? Donc ma réponse est oui, le commerce social va fonctionner. Mais les marques ont besoin de penser au social commerce de manière différente et de décider à qui cette spécialité appartiendra car les différents services (social, e-commerce, digital etc.) voudront se l’approprier.
4. Que pensez-vous de la direction prise par Facebook pour devenir une plateforme de partage de vidéos et d’actualités ? Est-ce que Facebook pourrait disrupter la position de Youtube en tant que plateforme incontournable pour les vidéos ? Est-ce que les éditeurs devraient s’inquiéter ?
Facebook devient son propre Internet. Son objectif est de garder le plus longtemps possible les utilisateurs sur la plateforme, sans qu’ils aient à la quitter, via par exemple « Instant Articles » ou encore la vidéo dans le cas présent.
Je ne pense pas que Facebook puisse prendre le pouvoir face à Youtube. Facebook essaie de créer des partenariats exclusifs avec des créateurs de contenus et cela lui permettra de consruire un écosystème, ce qui est une bonne chose. Mais vous devez vous rappeler tout le monde n’utilise pas Facebook. Les jeunes produisent beaucoup de vidéos qui deviennent populaires et Youtube leur offre un écosystème très riche pour ça. Je pense que Facebook a encore beaucoup à apprendre. Il sera vibrant mais auprès de démographies différentes.
5. Une des difficultés principales pour Twitter consiste à acquérir et retenir de nouveaux utilisateurs. Twitter a effectué des modifications dernièrement pour essayer de changer ce schéma. Les profils ont bénéficié d’un redesign. Des fonctionnalités inédites sont apparues comme « while you were away ». De même, la page d’accueil a été modifiée pour les visiteurs qui ne sont pas logués. Que pensez-vous du problème de la croissance des utilisateurs chez Twitter ?
Twitter a toujours eu un problème de croissance du nombre de ses utilisateurs. Je me rappelle que certaines choses que j’ai lues en 2006 et 2007 sont encore vraies aujourd’hui. La croissance de Facebook pour devenir ce qu’il est à présent s’explique par la nature des communications humaines. Il est très naturel de partager des images et de recevoir des commentaires tout ça dans un seul endroit. Avec 140 caractères, Twitter vous force à penser différemment dans votre manière de communiquer. Pour votre tante, votre sœur ou votre frère, qu’est-ce que Twitter ? Vous avez un million de réponses à cette question. Même son expérience « on-boarding » quand vous vous inscrivez n’est pas claire. Ce qui explique que beaucoup de personnes qui s’inscrivent sur la plateforme renoncent à utiliser leur compte ou se contentent de suivre Taylor Swift ou le président Obama pour lire leurs tweets.
L’autre challenge avec Twitter est que vous devez construire votre propre audience. Si vous avez seulement 100 ou 200 abonnés, est-ce qu’il y a du ROI pour y passer du temps ? Alors que vous pourriez voir plus de valeur pour Facebook ou Instagram, parce qu’il existe sur ces plateformes une satisfaction instantanée.
6. Merkaat et Periscope sont en train de construire leur notoriété sur le marché de la diffusion vidéo en live. Merkaat a été très populaire lors du festival South by South West en mars dernier et Periscope, qui appartient maintenant à Twitter, est désormais plus populaire que Merkaat. Y a-t-il suffisamment de place sur ce marché pour deux applications ? Comment Merkaat pourrait-elle rattraper son retard ? A votre avis, est-il envisageable que Facebook rachète Merkaat ?
Je pense que Periscope démontre actuellement ce qu’il est possible de faire avec le web en temps réel, ce que Twitter a très bien réussi à faire. Mais Periscope est aussi un service qui attire pour l’instant des early-adopters et seuls les individus qui sont très actifs sur Twitter et qui sont des créateurs de contenus y voient une réelle valeur. Merkaat va devoir devenir quelque chose d’autre pour concurrencer Periscope. Si Facebook en faisait l’acquisition, il faudrait que le réseau social change la dynamique de Merkaat car Facebook n’est pas une plateforme autant tournée vers le temps réel que Twitter. Je ne sais pas quelle valeur Facebook pourrait y trouver. Pour l’instant, ces deux services ont besoin de se développer. Je ne sais pas encore si nous avons une killer app.
7. Dans un monde où les médias sociaux sont de plus en plus importants pour les consommateurs, le capital sympathie devrait être un élément incontournable pour les marques. L’engagement, l’attachement à la marque, la recommandation constituent des concepts qui soutiennent les objectifs marketing d’une marque. Pourtant, je vois encore trop souvent des campagnes dont le but principal est de créer du buzz ou encore de diffuser des messages au plus grand nombre de personnes comme nous le ferions avec un spot TV par exemple. Ces campagnes n’ont pas de valeur ajoutée et ne créent pas d’expérience pour les consommateurs. Que pouvons-nous faire pour changer tout cela ?
J’aurais aimé qu’il y ait plus de professionnels des médias sociaux comme vous. La plupart du temps, les personnes que je rencontre sont le problème. Elles sont celles qui font que les médias sociaux sont coincés aujourd’hui. Parce qu’elles sont des marketeurs. Parce qu’elles parlent aux gens (note : sous-entendu « et non pas AVEC les gens »). Elles écrivent des choses qui sont approuvées par leur service juridique. Elles ne produisent pas de contenu que les consommateurs ont besoin pour s’engager. Elles pensent aux mentions J’aime comme il s’agissait d’un opt-in pour une newsletter. Elles ne cultivent pas leurs communautés.
Le problème est plus grand que les médias sociaux. Le problème est le marketing en général. Les personnes qui prennent les décisions pour demain vivent encore dans le monde d’hier. Afin de changer ceci, nous avons besoin de personnes comme vous, des professionnels passionnés, non pas pour montrer ce qu’il est possible de faire mais pour aider à se débarrasser des personnes qui sont sur le chemin. C’est pourquoi je me suis tourné vers la transformation digitale il y a quelques années. Le vrai changement ne se fera pas au niveau de chaque entreprise. Il se réalisera lorsque les équipes dirigeantes auront changé.
Crédits photo ©Anne-Emmanuelle THION
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